Écrire un livre est un art très personnel.
Vous ne trouverez pas deux auteurs avec la même méthode, le même style ou la même plume. C’est ce qui rend chaque ouvrage si unique. Tandis que certains n’auront pas peur de sauter le pas de l’écriture, d’autres devront d’abord se pencher longuement sur les fiches personnages, le plan de l’histoire et tutti quanti. Arbitrairement, on les appelle souvent les jardiniers et les architectes. Oui, l’humain aime tout classifier en catégories. Et même si la réalité est loin d’être aussi simpliste, j’utiliserai ces deux termes dans cet article.
Autant le dire tout de suite, je fais partie des architectes. Par le passé, j’ai essayé plus d’une fois d’écrire mon roman en « partant de rien ». Bien sûr, j’avais des notes -éparses- dans différents cahiers, des fichiers textes remplis de listes à idées. Mais pas de plan ; rien qui ressemble de près ou de loin à un scénario de A à Z. Je ne le savais pas encore mais avoir un plan allait devenir indispensable pour mes prochaines histoires.
Planter ou bâtir ?
Comme en parle Mélanie De Coster dans son article consacré, les architectes conçoivent leur histoire grâce à ce plan, un squelette sur lequel sera établi le récit. Mais là où je ne suis pas d’accord avec elle, c’est lorsqu’elle évoque la planification des architectes. Un architecte ne sait pas forcément combien de pages feront chaque chapitre, leur nombre. Du moins, pas tous les architectes. Réduire un auteur à l’une ou l’autre caste me paraît vraiment trop réducteur. Si je devais garder cette division, j’ajouterai des niveaux dans ces deux catégories. Entre un jardinier qui fait de la permaculture et un autre qui entretient son potager comme un militaire, vous en conviendrez qu’il y a un gouffre mais ils restent tous les deux des jardiniers 😉
Sur ce principe, il existe autant de plans qu’il y a d’auteurs architectes. Certains utiliseront la célèbre méthode flocon comme l’explique Marieke, quand d’autres se contenteront de quelques lignes pour décrire les grandes lignes de chaque étape du récit. Mais plutôt que d’expliquer les méthodes théoriques des uns et des autres, je vais me focaliser sur la méthode que je mets en œuvre au quotidien pour structurer mes histoires.
Le plan, squelette du récit
Alors que j’écris mes textes sur ordinateur, je suis resté au bon vieux papier pour le plan. Écrire à la main a quelque chose de plus puissant pour le cerveau (ou du moins pour le mien), j’ai l’impression d’écrire avec plus de solidité mes mots sur le papier. Cela doit avoir une origine psychologique. J’ai chez moi toute une collection de carnets estampillés Game of Thrones (#groupie), reliés et avec une couverture en cuir sublime. Celui qui me sert pour la saga de la Sève du Pouvoir est celui ci-dessous.
Vous pourrez le trouver sur Amazon à un prix raisonnable (lien partenaire). La qualité est très bonne, je vous les conseille si vous cherchez des carnets simples, beaux visuellement et de taille moyenne (et si vous aimez Game of Thrones aussi ^^).
Bon, c’est bien joli d’avoir un carnet mais encore faut-il le remplir !
Dans un premier temps, je commence toujours par noter les idées qui me viennent pêle-mêle, sous forme de listing. Je me laisse également une page pour noter les « essayages » de titres. J’essaie depuis longtemps de trouver le titre d’une œuvre avant de l’écrire mais force est de constater que je n’y arrive jamais. Le premier tome de La Sève du Pouvoir n’a trouvé son sous-titre qu’aux deux tiers de l’écriture (idem pour le titre de la saga). À ce moment là, il y a encore tout et n’importe quoi dans mes notes. Des idées saugrenues, des clichés, des croquis de personnages, d’armes, des esquisses de cartes, tout ce qui me vient et que je n’ai pas envie d’oublier.
Ensuite, je fais un premier tri. Toutes ces notes, j’essaie de les compiler, je mets de côté celles qui ne me plaisent pas, je réunis les autres et j’essaie de les regrouper en ce qu’on appelle des arcs narratifs. Pour L’Ombre du Titan, j’ai par exemple regroupé les idées autour de Beryn et Isan en un seul et même arc, idem pour Irilin et Orgos… ces personnages apparaissant en grande partie dans les mêmes parties du récit.
Découpage des scènes
Ce travail de compilation dure plusieurs semaines. Il faut savoir que je ne suis pas un bourreau de travail. Je me penche sur mon roman lorsque j’ai envie, lorsque je suis motivé. Il m’arrive de passer des heures consécutives le nez rivé sur mon carnet ; mais je ne serai pas (plus ?) capable de faire ça pendant des jours. J’ai besoin de laisser s’aérer l’histoire, je préfère la laisser reposer un peu tous les jours, y revenir une petite heure un jour, 20 minutes le lendemain. Mes séances de travail sont très irrégulières et ne suivent pas d’habitude figée.
Une fois cette seconde étape terminée (quand je sens que l’histoire est prête), je m’attaque à l’élaboration du réel plan. Mon schéma est assez simple :
- Prologue
- Scène 1
- …
- …
- …
- Scène 83
Vous aurez remarqué que je ne parle pas de chapitres. À mes débuts, je découpais par chapitre mais je me suis vite aperçu que ce système ne me permettait pas de construire le récit de manière efficace.
Ici je parle de scène. Chaque scène est un évènement réunissant X personnages pour une action/péripétie. Si la péripétie dure longtemps et qu’elle se « déplace » dans l’espace et le temps, je la découpe en autant de scènes nécessaires. Par exemple dans le tome 1 de La Sève du Pouvoir, la « scène finale » s’étend sur beaucoup de pages. Dans mon plan, elle est constituée d’une dizaine de scènes.
Mais ça ne s’arrête pas là.
Nouer des liens
J’aime beaucoup entrelacer les intrigues. Du coup lors de l’écriture proprement dite, il m’arrive de commencer une scène A, de l’interrompre en plein milieu (à un moment crucial généralement, à rapprocher du climax) pour basculer vers une scène B qui n’a rien à voir. J’interromps ensuite la B sur le même principe pour revenir à la A (ou à une scène C). Cette technique a plusieurs avantages : dynamiser le récit et pousser le lecteur à tourner la page pour savoir ce qui se passe ensuite ! Avouez que c’est rageant, frustrant mais en même temps, tellement agréable (quand c’est bien fait). J’ai en tête un roman que j’ai lu et qui utilise cette technique : La Croix des Assassins de Giacometti et Ravenne. Excellent bouquin au passage. Bref ! Une technique d’écriture intéressante qui ravira tout auteur sadique.
Revenons-en à nos moutons. Ces scènes entrelacées dans le livre se présentent différemment dans mon plan. Pour reprendre mon exemple : j’écrirai la scène A entièrement, puis la scène B et la scène C. Dans mon plan, l’entrelacement n’apparaîtra jamais. Ce n’est que durant la phase d’écriture que je les scinderai. Pour ça, pas de réelle technique, c’est à moi de voir à quel moment de la scène une pause est judicieuse 😉
Script in the Shell
Ces scènes, je ne vais pas écrire 20 pages pour chaque, cela n’aurait aucun sens à cette étape. Toutefois, je vais entrer un peu plus dans les détails (en comparaison avec mes notes des étapes précédentes). Je décris tout ce qui s’y passe, les éléments principaux et ceux que je ne veux pas oublier à l’écriture. Ce résumé me servira d’appui lors de la phase d’écriture, il est important de ne pas omettre des points sur lequel je veux appuyer. Il m’arrive parfois d’ajouter une réplique que j’ai déjà en tête et que je ne veux pas oublier. Ah la mémoire…
Le résumé de chaque scène peut aller de quelques lignes à une page (rarement plus). Avec le tome 1, ma technique était en rodage et mes résumés de scènes ne faisaient souvent que quelques lignes, du moins au début. Pour le tome 2, l’homme était rodé. Chaque scène a été décrite en détails. J’ai voulu creuser davantage les personnages, les lieux, les interactions, tout le développement amenant du corps au récit.
On est clairement sur la partie la plus longue et la plus importante.
Toutes les scènes doivent s’enchaîner, fonctionner, ne pas oublier d’intrigue en route (ni de personnages). C’est à cette étape que l’on découvre vraiment si une idée marchera ou non. Comme pour l’écriture plus tard, il y aura des scènes où on ne saura pas quoi raconter et pourtant une fois lancé, on se rendra parfois compte que ce sont ces scènes-là les plus importantes. Aucune scène ne doit être négligée.
Après des semaines, des mois (!) de travail, on arrive enfin à la fin du plan. Félicitez-vous. C’est une belle étape de franchie, une bonne chose de faite. Avec ce plan en main, vous avez le squelette de votre récit, votre ligne directrice pour la phase suivante : l’écriture. Ce plan sera votre boussole, votre GPS dans la tempête de l’écriture. Vous aurez parfois des pannes, des frustrations, votre carnet rempli d’infos cruciales, lui, sera toujours là avec vous.
Figer dans le marbre, le plan n’est pas
N’oubliez également jamais que ce plan n’est pas intouchable. Touchez-y, modifiez-le, ajustez-le ! Il n’en sera que meilleur. N’ayez pas peur d’altérer ce que vous pensiez être un plan parfait à un moment T. Il m’arrive très souvent d’écrire quelque chose dans le squelette et de ne pas le suivre lors de l’écriture. Ce n’est pas grave !
Voilà, j’espère n’avoir rien oublié. J’ai partagé avec vous ma technique, ma méthodologie. Il est certain qu’elle ne sera pas idéale pour tout le monde, à vous de trouver votre propre voie. Pour compléter mon article, je vous conseille l’excellent billet de Ghâan Ima, que vous retrouverez ici : http://ecrivain-alchimiste.fr/plan-micro-macro/
Je vous ai dévoilé ici ma méthode pour élaborer une structure narrative solide. Si vous voulez en savoir plus sur mes habitudes d’écriture, voici un autre article qui saura répondre à toutes questions.
N’hésitez pas à partager avec tout le monde vos techniques, êtes-vous jardinier ou architecte ? Lâchez-vous en commentaires juste en dessous, je serai curieux de voir les proportions 🙂
Bon plan !
Article très intéressant. Je me rends compte que ma manière d’écrire est assez proche de la tienne… Par contre, le « mûrissage » des idées en vrac au début est beaucoup plus court, non pas parce que j’ai envie d’aller trop vite, mais surtout parce que ces idées viennent souvent lorsque j’élabore mon plan, justement. C’est un savant va-et-vient, finalement.
Je trouve très intéressant aussi la notion d’entrelacement d’intrigues. C’est sans doute quelque chose que j’ai encore du mal à manier (mes histoires sont souvent assez linéaires, finalement). A travailler, donc !
Effectivement, je ne l’ai pas précisé dans l’article mais il m’arrive aussi d’écrire certaines scènes du plan « sur le tas », sans forcément m’appuyer sur des notes antérieures. Comme tu le dis, c’est un va-et-vient constant.
Personnellement, l’entrelacement d’intrigues (on peut voir ça comme une tresse je pense) est quelque chose que j’aime beaucoup voir dans des livres que je lis et même des films que je visionne. Ça doit avoir une influence sur ma manière d’appréhender mes propres histoires. Un peu comme les flashbacks 🙂
Merci pour ton commentaire en tout cas !
cet article est très intéressant. Je suis flattée que tu m’aies citée dedans !
J’essaie toujours d’appuyer mes analyses et commentaires sur des sources pertinentes, merci à toi d’avoir alimenter mon article avec ton contenu intéressant 🙂
Je croise trop rarement des comparses architectes pour ne pas commenter ici 😉
Je me retrouve assez dans cet article. Souvent les gens ne comprennent pas comment je peux bosser des mois sur un livre sans en rédiger une seule page : oui, je passe des mois en scénarisation. Je ne sais pas faire autrement 🙂
Les gens ne comprennent pas qu’on puisse créer des histoires… Sans écrire d’histoire à proprement parler ^^ content de ne pas être le seul architecte. J’en profite pour me demander si ces deux « classes » d’auteur sont plus ou moins des femmes ou des hommes.
merci pour la citation! très intéressant, c’est super de partager ta méthode ^-^
bonne écriture à toi!!
De rien Ghaan ! Quand je peux partager de bons articles, je le fais sans problème 😉
À bientôt !
Denis